L’horloger familial
By: Jean-Bernard Lievens
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L’horloger familial
Les troubles alimentaires.
Anorexie, boulimie comme phénomènes complexes.
Article écrit par Jean bernard LIEVENS
« Peut-on soutenir que le corps parle, qu’il a un langage ? Il semble légitime de l’affirmer dès lors qu’on considère le corps comme un territoire dans lequel s’inscrivent, non seulement les reflets de troubles biologiques, mais aussi les traces, chargées de sens, d’événements psychologiques, relationnels, existentiels. La maladie psychosomatique qui s’exprime à travers le corps, mais qui ne se limite pas au corps, requiert alors une approche globale du corps, de l’esprit et du milieu. L’approche systémique révolutionne les conceptions rigides de la pensée médicale traditionnelle et apporte ici une contribution inestimable. Elle offre une méthodologie qui permet de retrouver cette unité complexe des choses, non seulement par une modélisation théorique, mais aussi, ce qui est plus important, dans l’exercice même de la clinique.
La technique des « sculptures du présent et du futur » permet de replacer le corps dans le contexte qui est le sien, lorsqu’il peut redevenir moyen d’expression sur la scène de la relation familiale. Alors il quitte le silence apparemment obscur du symptôme pour prendre le sens d’un langage. Ainsi, est ouverte pour le thérapeute l’occasion de se familiariser avec « les langages du corps » qui souvent ne trouvent qu’une maigre écoute. »
Préface du livre de Luigi Onnis, Les langages du corps,
la révolution systémique en psychosomatique.
Au travers des troubles alimentaire d’un adolescent, la famille exprime un « Temps suspendu » avec ses immobilités et ses blocages. Afin de se protéger, le système familial et ses secrets cachés se créent des conflits de loyautés et impose la non- permission de parler. L’adolescent est alors instrumentalisé au profit du secret familial, du secret conjugal. En découvrant cette instrumentalisation, le « corps » de l’anorexique parle et renvoie au « corps » familial. Les mythes familiaux de protection imposent cet antagonisme entre besoin de s’exprimer et la peur de la destruction du noyau familial.
A la suite d’événements traumatisants pour la famille, celle-ci perd de vue ses ressources et ses capacités de transformation pour sortir du système homoéstasique. Chaque famille alternant entre renforcement interne et capacité d’évolution, le trouble alimentaire fixe la famille dans une impossibilité à évoluer vers un autre stade.
La majorité des troubles alimentaires concernent des femmes. Ceci est expliqué par le contexte familial, la culture et l’individu. Les hommes développent d’autres formes de troubles. L’évolution de la société et de notre culture fait émerger de plus en plus de situations d’hommes anorexiques ou boulimiques.
A. L’environnement
Différentes composantes sont engagées dans le phénomène, la complémentarité des trois composants comme fil rouge d’un « temps suspendu » est importante :
1.la culture sociale : consommation et valeur du bien- être, le corps est vécu comme devant être éternel, suspension du temps du vieillissement, 2.la psychodynamique personnelle, suspension du temps de la croissance vers une identité plus mûre afin de garder les émotions de l’enfance et les liens parentaux, 3.les caractéristiques de la famille, le système familial. Mythe d’unité avec une transmission transgénérationnelle douloureuse qui empêche le processus d’autonomie et d’individuation
1. La culture sociale
Les troubles alimentaires sont présents en occident et absent dans les pays du tiers monde. Ces troubles seraient liés au développement économique et du bien- être. Ce développement émet un message paradoxal : d’une part invitation à la consommation et d’autre part devoir d’être mince, des idéaux esthétiques opposés au corps capable de travailler.
Le rôle de la femme évolue dans sa recherche d’une nouvelle identité et dans ses rapports à l’homme. La culture de l’image : les traces de vieillissement sont gommées. Culture du présent infini, oà les corps doit rester jeune, où le temps semble suspendu.
2. L’individu
La fracture de l’adolescence des patients boulimiques et anorexiques, déchirure et ambivalence entre : la tentative d’affirmation de soi et l’individuation à travers la dynamique du refus. La dynamique « contre », la régression infantile qui bloque l’individuation et empêche d’assumer l’identité et la sexualité féminine avec les vécus qui l’accompagne, le refus de la nourriture serait l’expression du refus de la mère ambivalent avec le besoin de sa mère, la nourriture extérieure serait refusée par l’intérieur comme image du refus du monde externe, dévalorisation de l’image du corps comme manifestation extérieure.
3. Histoires familiales
La relation conjugale est conflictuelle mais cachée, les besoins personnels sont insatisfaits et il y a un vide affectif. Blocage non déclaré. Le patient désigné s’engage envers l’un ou l’autre parent. La fille( ou le fils) devient l’instrument d’une lutte conjugale secrète et critique. La crise anorexique survient quand l’enfant se rend compte de son instrumentalisation par un parent, d’être considéré comme un instrument plutôt que d’être un individu, instrument du couple. Le patient se rend compte que son alliance avec l’un ou l’autre parent ne porte pas sur ce qui est présenté par ce parent.
B. Hypothèses systémiques
Tenter de répondre à deux pôles contradictoires et inconciliables constitue une tentative illusoire : vouloir quitter le monde de l’adolescence pour se créer une place d’adulte sans renoncer aux besoins émotionnels propres à l’enfance. Le trouble alimentaire suspend le temps de passage entre adolescent et adulte. La difficulté d’individuation( de trouver sa place) entre les générations, et d’autonomisation.
Le couple conflictuel crée un contexte où le système familial empêche toute résolution des conflits, notamment par peur de l’éclatement de la bulle familiale, bulle dont le patient se sent responsable( mythe). Les conflits sont polarisés autour des problèmes alimentaires avec une concentration des problèmes sur l’aire symptomatique du patient désigné. Grâce aux jeux des coalitions, les places de chacun sont définies avec peu de clarté, ce qui constitue un obstacle dans les processus de différenciation.
1. Triangularisation familiale.
Coalition soit avec :
- la mère perçue comme victime du père dominant ou absent,
- le père qui valorise sa fille comme parfaite( conflit de places) par rapport à la mère sous- évaluée ou insupportable.
Dans les deux cas se crée pour le patient des difficultés de s’identifier à l’image féminine : négation de l’image féminine, retard dans l’acquisition de l’identité sexuelle( corps asexué).
2. Signification relationnelle
tentative de récupérer une sphère d’autonomie, tentative de différentiation à travers le refus et le contrôle, protestation violente et désespérée, protestation « muette » dans un système qui refuse le conflit, paradoxe qui exprime besoin de croissance et d’individuation et peur de croissance qui provoque la régression à l’enfance, l’anorexie comme identité. Crise de l’identité si résolution de l’anorexie. Ce n’est donc pas l’anorexie qu’il faut soigner mais bien le système familial.
3. Les mythes familiaux.
Mythes d’unité et de cohésion de la famille comme valeur suprême à sauvegarder à tout prix : risque de trahison.
Fantasme de rupture : peur angoissante que toute manifestation de conflit ou d’autonomie puisse représenter une désagrégation catastrophique des liens de la famille plutôt qu’une transformation évolutive. Blocage du temps.
Profonde adhésion du patient à ces mythes : loyautés invisibles et peur de transgression.
4. Transmission transgénérationnelle.
Trigénérationnel : répétitions d’histoires douloureuses, vécus émotionnels de perte et angoisses de séparation. Construction défensive par peur de la répétition de ces histoires douloureuses. Les histoires personnelles montrent des scénarios où des pertes douloureuses, des déchirement ont été connus, perte d’un membre de la famille et non cicatrisation de cet événement, deuil non fait. Le famille met tout en place pour ne pas revivre ce vécu traumatisant. La séparation est donc imaginée comme pouvant faire revivre ce vécu douloureux. Le mythe de l’adhésion familiale, de l’unité est renforcé.
C. Perspectives
1. Utilisation du langage analogique en thérapie.
Langage du corps = langage analogique( différent du langage verbal). Permet au mythe d’émerger sans question explicite sur ce point. Le corps du patient prend la forme du corps familial.
Les sculptures du temps familial : sculpture du présent, sculpture du futur après 10 ans, comment on pense que la famille sera dans la réalité, pas comme on espère qu’elle sera sculpture du passé avec un épisode ayant laissé des traces dans la mémoire.
Conséquences des sculptures : dépasser la peur de la possibilité d’évoluer, dépasser la peur de la perte de l’unité familiale, la famille et l’individu peuvent se rapproprier leur histoire, le dialogue du thérapeute avec la famille peut restituer sous forme de métaphore et de mosaïque de nouvelles traductions, significations de souffrance de la famille. métaphores à utiliser : la convergence des regards vers la maladie ; le geste d’unir et de tenir à distance( ambivalence)
Objectifs et perspectives :
rendre la possibilité d’un nouveau temps, faire émerger les mythes et les fantasmes sans questionnement direct sur ceux- ci, restituer au symptômes du patient la signification d’une métaphore du malaise familial en activant les ressources pour en sortir.
2. Exemple d’hypothèse restituée à la famille :
La nourriture est la seule façon de survivre et de s’opposer. S’occuper du symptôme désigné de front est risquer de lui retirer son identité.
La fratrie comme ressource.
De belles images nous ont touché. Votre famille est fortement engagée. Votre fille à réussi à réunir toute la famille autour d’elle, tenir ensemble toute la famille tout en signifiant vouloir un espace personnel. C’est comme si quelqu’un devait garantir l’unité de la famille en étant convaincue d’être le centre unifiant de la famille. Votre fille malade polarise l’attention de tout le monde. Symptôme de l’anorexie : le besoin de tenir ensemble et de trouver un espace pour elle-même. Elle est déchirée par cela. Comment peut-elle se construire un espace personnel ? La famille a des ressources : les parents donnent de l’assurance aux enfants.
La famille est confirmée par le thérapeute dans ses croyances en créant un cadre de connotation positive où un sens nouveau est donné au symptôme et en permettant un nouvel espace pour le changement. Donner des ressources pour le changement, des alternatives sont possibles. Reconnaissance du travail accompli par le patient en disant que quelqu’un peut prendre le relais.